L’usage déraisonnable de médicaments antibiotiques pour les humains et les animaux d’élevage offre une inquiétante perspective de santé publique.
En quoi le phénomène d’antibiorésistance est-il problématique ?
Le recours trop important aux médicaments antibiotiques et l’insuffisante maîtrise de leur dispersion dans l’environnement génèrent une multiplication des bactéries qui ne sont plus sensibles à ces substances à force d’y avoir été soumises. Les bactéries résistantes sont souvent multirésistantes, c’est-à-dire qu’elles sont insensibles à plusieurs antibiotiques différents. Cela aboutit à de plus en plus de complications de santé et d’impasses thérapeutiques où plus aucune solution n’est disponible pour soigner certains patients. En France, on estime déjà que 38 000 décès par an sont associés au phénomène d’antibiorésistance, dont 9 000 attribuables directement à la résistance. Très peu de nouveaux antibiotiques sont en développement, il faudra donc faire avec l’existant pour guérir les maladies bactériennes. Nous devons collectivement tout faire pour freiner la résistance.
Tous les antibiotiques sont-ils comparables et connaît-on les canaux de diffusion de ces bactéries résistantes ?
Les familles d’antibiotiques n’impactent pas l’environnement de la même manière. Certaines se dégradent rapidement, ce qui les désactive. C’est le cas des bêta-lactamines. Au contraire, d’autres sont chimiquement stables : arrivées intactes dans l’environnement, elles participent à la propagation de la résistance aux antibiotiques des bactéries qui nous entourent. Nous avons par exemple démontré la persistance d’antibiotiques de la classe des fluoroquinolones. Les effluents des stations d’épuration et l’épandage des effluents d’élevage sur les cultures sont les deux principales sources de contamination dans l’environnement dans notre pays. Même si antibiotiques et bactéries résistantes contaminent l’environnement, nous savons que dans les pays développés, les interactions interhumaines sont la source majoritaire de contamination de l’homme par des bactéries antibiorésistantes.
Comment mieux saisir le mécanisme à l’œuvre ?
Dans notre laboratoire, nous cherchons quels facteurs favorisent la transmission de la résistance d’homme à homme, et quels leviers pourraient limiter cette transmission. Nous sommes partis d’un constat : si une personne porteuse d’une bactérie antibiorésistante contamine son voisin, le résultat ne va pas être le même selon que cette seconde personne a ou pas été exposée à des antibiotiques. Si elle a récemment pris des antibiotiques, la bactérie résistante va s’implanter dans son tube digestif. Si non, la bactérie antibiorésistante va être évacuée car elle sera en compétition avec un microbiote intestinal* sain. Nous émettons l’hypothèse que la consommation de produits d’origine animale contenant des antibiotiques serait suffisante pour déséquilibrer le microbiote et favoriser l’implantation d’une bactérie résistante chez le consommateur contaminé. Des travaux sont en cours pour le vérifier.
Didier HOCQUET, Professeur de bactériologie-hygiène hospitalière à l’Université de Franche-Comté et au CHU de Besançon, Unité mixte de recherche CNRS 6249 Chrono-Environnement
Il faut souligner l’importance du concept de One health, ou « Une seule santé », qui repose sur une prise en compte conjointe des santés humaine, animale et environnementale, qui constituent un tout indissociable. Nous pouvons avoir l’impression d’être impuissant face à la pollution environnementale liée aux antibiotiques, or nous devons comprendre notre rôle en tant que patients et consommateurs. Il est de notre responsabilité de ne pas faire pression sur les médecins pour être traité par antibiotiques lorsque notre situation ne le nécessite pas. De même, nous pouvons limiter la consommation des produits d’origine animale issus d’élevages industriels, dont les pratiques reposent sur l’utilisation d’antibiotiques.
« Pour en savoir plus… »
Un article paru dans cette même rubrique, Résistance aux antibiotiques : les raisons et les solutions, est à retrouver sur https://bfcnature.fr/questions-de-nature-2021.
Mini-glossaire
Microbiote intestinal : ensemble des micro-organismes vivant dans le système digestif et participant à son fonctionnement.