On portait la pollinisation du petit palmier méditerranéen au crédit du vent. C’est en fait un discret insecte qui est à l’œuvre.
Quelles sont les particularités du Palmier nain (Chamaerops humilis) ?
C’est le seul palmier présent naturellement en France métropolitaine. Une petite population est implantée au Cap Taillat, sur la Côte d’Azur. Buissonnant, il n’excède pas 1,5 mètre de haut. Il est capable de repousser du pied après la destruction de son stipe* en cas d’incendie. On a longtemps cru qu’il était pollinisé par le vent, or cette hypothèse s’est révélée fausse. De nombreux palmiers ont besoin d’un insecte spécifique pour leur pollinisation. Dans les années 1970, des hectares de Palmier à huile ont par exemple été plantés en Malaisie, mais la production de fruits s’est avérée extrêmement faible. Grâce à l’introduction d’un charançon*, surnommé pour l’occasion multi-million dollar weevil (« le charançon qui valait des millions »), les plantations ont été pollinisées et sont devenues rentables. Un ouvrage ancien mentionnait la présence d’une espèce de charançon, Derelomus chamaeropis, sur le Palmier nain. Après de longues recherches menées fin des années 1990 en Espagne, nous l’y avons trouvé bien caché. D’un demi-centimètre, brun doré, il passe inaperçu dans l’amas très dense des inflorescences.
Comment ce charançon joue-t-il le rôle de pollinisateur ?
Le Palmier nain est dioïque : il compte des plantes mâles et des plantes femelles.
Les plantes mâles fleurissent d’abord. Le charançon vient se nourrir sur les inflorescences en y plantant son rostre et en mangeant le pollen. Une semaine après, les plantes femelles fleurissent à leur tour. Elles sont alors visitées par le charançon qui, couvert du pollen des fleurs mâles, assure la pollinisation. Le charançon pond ses œufs dans les rachis* des inflorescences fanées où se nourriront les larves. Celles-ci y passent l’hiver puis se métamorphosent en adultes. Les premières pluies printanières détrempent les rachis qui deviennent mous et permettent à la nouvelle génération de charançons de sortir. En même temps, ces pluies initient la floraison.
Peut-on qualifier cette relation de « mutualiste » ?
L’interaction est effectivement bénéfique pour les deux espèces. Le palmier est le seul site d’alimentation, de reproduction et de développement du charançon et le charançon le pollinisateur du palmier nain. Le charançon pond indifféremment sur les fleurs mâles et femelles alors que ces dernières produisent une résine empêchant l’éclosion des œufs. Si la plante peut se permettre que le rachis des inflorescences mâles fanées soit creux, il n’en est pas de même pour les femelles, dont les fruits insuffisamment soutenus tomberaient avant d’être mûrs. On parle ici de mutualisme « à déception partielle ». Le pollinisateur visite les inflorescences de palmier pour se nourrir et pondre (bénéfice), mais ses œufs ne se développeront pas dans les inflorescences femelles (coût).
Le mot de l’experte
Marie Charlotte ANSTETT, Écologue, chargée de recherche CNRS au laboratoire Biogéosciences, spécialiste des interactions plantes/insectes
De quelle façon les charançons repèrent-ils le Palmier nain ?
Les pieds du Palmier nain sont toujours assez dispersés, à une centaine de mètres les uns des autres. Pendant la floraison, la plante exhale une odeur florale très prononcée qui les attire. Nous avons tenté d’extraire ce parfum des fleurs pour mener des expériences, sans y parvenir. Nous nous sommes finalement rendu compte que cette odeur ne provenait pas des fleurs, mais d’une glande située au niveau des feuilles. Appelée osmophore, elle sécrète des huiles essentielles uniquement pendant la floraison. Le fait qu’elle soit positionnée dans le feuillage favorise la diffusion de son parfum par le vent. Nous ignorons encore comment et à quel moment cet organe est apparu d’un point de vue évolutif.
Pour en savoir plus
Dans le hors-série n°1 de la revue Le Palmier, éditée par l’association Fous de Palmiers, découvrez d’autres informations sur la pollinisation du Palmier nain : http://www.fousdepalmiers.com/pages/revues-le-palmier/numero-special-chamaerops.html. Consultez aussi une thèse de Mathilde DUFAY sur le sujet : https://www.theses.fr/2003ENSA0009.
Mini glossaire
Charançon : sorte de petit scarabée au long nez.
Rachis : axe principal d’un épi de fleurs.
Stipe : équivalent du tronc chez les palmiers et fougères.