Questions de Nature
Une crise environnementale profondément humaine
Alors que les problèmes écologiques deviennent de plus en plus criants, réinterroger notre société apparaît une étape incontournable pour garder une planète durablement viable.
Quel lien y a-t-il entre crise écologique et crise de l’Homme ?
On a parfois l’impression que la crise écologique est extérieure à nous, alors que nous faisons partie d’un tout. Par exemple, la recrudescence des sécheresses compromet déjà nos récoltes de biens alimentaires. D’ici 2070, près d’1/3 de l’humanité risque de se trouver dans des zones inhabitables du fait du changement climatique, soit près de 3,5 milliards d’individus qui devraient migrer. De plus, à la crise écologique s’ajoute une crise de société. Seuls 10 % de la population mondiale sont responsables de 50 % de l’augmentation des gaz à effet de serre, et les 50 % les plus pauvres génèrent seulement 10 % de ces émissions. Parallèlement, le PIB* mondial a été multiplié par 2,5 fois de 1900 à 1950, et par plus de 13 fois entre 1950 et 2010, mais de 1980 à 2016, 1 % de la population a capté 27 % de la croissance économique mondiale.
Nous sommes en train de détruire les écosystèmes terrestres, mais au profit de qui ?
Comment changer de trajectoire ?
Nous devons prendre conscience que nous ne sommes pas séparés de la nature, comme le sous-tend une philosophie remontant à Descartes qui voyait les humains devenir « maîtres et possesseurs de la nature ». Sauvegarder notre environnement, c’est en réalité nous sauvegarder nous-mêmes. La communauté scientifique appelle à tenir compte des « limites planétaires ». Tout écosystème a une capacité de charge restreinte. La planète est un milieu borné, limité. Nous ne pouvons donc pas indéfiniment augmenter nos productions ni nos richesses. Les politiques mises en œuvre doivent respecter ces limites. Un groupe de chercheurs animé par le climatologue américain Will Steffen a récemment défini une série de limites à ne pas franchir pour sauvegarder les écosystèmes et l’habitabilité terrestre. Nous avons déjà dépassé ces limites en ce qui concerne la chute de biodiversité et la pollution par l’azote et le phosphore. Nous sommes en train d’atteindre le seuil critique pour le climat.
A-t-on encore le temps de redresser la situation ?
Quand on regarde dans le passé les évolutions des écosystèmes ou du climat, on s’aperçoit que les processus ne sont pas linéaires. Il existe des effets de seuil. Ainsi, au-delà d’un certain point, si les températures continuent d’augmenter, le changement climatique va s’emballer et les solutions deviendront de plus en plus difficiles. De même, les populations animales ou végétales peuvent diminuer peu à peu avant de disparaître brutalement une fois franchie un seuil critique. Il faut donc se méfier de ces effets de seuil et engager au plus vite les mesures nécessaires.
Le mot de l’expert
Michel MAGNY, Paléoclimatologue, Directeur de recherche émérite CNRS, Université de Bourgogne Franche-Comté, Unité mixte de recherche Chrono-Environnement
Comment initier le changement ?
Réduire notre consommation, manger moins de viande… Il est incontournable de faire des efforts, des sacrifices, en passant sans doute par des mécanismes contraignants pour réduire nos impacts, mais nous ne pouvons en rester là. Il nous faut un véritable projet de société, porteur et positif. Toutes nos activités devraient être subordonnées au respect de deux questions : est-ce qu’elles ne détruisent pas l’environnement ? Et conduisent-elles au bien-être de la société ? Au lieu de chercher à accumuler toujours davantage, avec les inégalités que cela engendre, il faut nous concentrer sur le sens de nos actions, de notre existence. Il s’agit maintenant d’apprendre à faire société avec nous-mêmes et avec les autres vivants.
Pour en savoir plus
Découvrez deux ouvrages de Michel MAGNY : Aux racines de l’Anthropocène, une crise écologique reflet d’une crise de l’homme, aux Éditions Le Bord de l’eau, et L’Anthropocène, aux Éditions Que sais-je ?