Publié le 8 mars 2022
À travers leurs déplacements et leurs interactions, les ongulés participent à leur insu à la dispersion des plantes.
Comment les ongulés dispersent-ils les plantes ?
De deux manières : par endozoochorie et par épizoochorie. Dans le premier cas, ils libèrent certaines graines dans leurs fèces après consommation de fruits charnus ou secs, ou par régurgitation. Dans le second, ils transportent des graines dans leur pelage ou sous leurs sabots. Cette dispersion externe est dite « primaire » quand la graine s’attache directement à l’animal. Lorsque la graine a déjà été dispersée une première fois, puis qu’elle rejoint la banque de graines au sol et qu’elle est de nouveau transportée par un animal, par exemple parce qu’il s’est baugé*, on parle de dispersion « secondaire ». Plusieurs épisodes consécutifs de dispersion ont ainsi pu être mis en évidence chez certains animaux sociaux comme le cerf ou le baudet du Poitou.
La dispersion est-elle comparable quel que soit l’ongulé ou la plante ?
On pensait que seules les graines possédant des formes adaptées, par exemple allongées ou avec des crochets, s’accrochaient aux pelages. Or même si celles-ci sont dispersées de manière privilégiée, toutes les graines peuvent l’être. Et une même plante peut être dispersée de différentes manières. Environ 44 % des plantes disponibles dans le domaine vital des animaux sont dispersées.
En Europe, les études portent principalement sur le cerf, le chevreuil et le sanglier. Les caractéristiques de son pelage et la présence d’un sous-manteau laineux qui stocke les graines font du sanglier le premier acteur de dispersion par épizoochorie. Le sanglier se roule dans la boue pour se déparasiter, alors que le cerf et le chevreuil vont plus volontiers se frotter aux arbres, ce qui entraîne une chute rapide des graines. Par endozoochorie, c’est le cerf qui occupe la première place, suivi du sanglier et du chevreuil. Une graine peut parcourir jusqu’à 3 km avec le cerf.
Pourquoi qualifier les ongulés « d’ingénieurs de l’écosystème » ?
Les ongulés sauvages se déplaçant quotidiennement, ils dispersent une grande quantité de graines et d’espèces. On sait déjà que les parcours de pâturage assurés par des ongulés domestiques comme le mouton, dont le pelage favorise l’épizoochorie, enrichissent la flore. On suppose que le cerf, le chevreuil et le sanglier jouent aussi un rôle important sur la biodiversité végétale. Dans des milieux dégradés, ils peuvent s’avérer de bons vecteurs de restauration ou de réensauvagement. Leur action sur les formations végétales est à l’origine d’un ensemble de processus. La perturbation qu’ils exercent sur le sol peut favoriser la germination de certaines espèces et créer des microhabitats. De nombreux animaux dépendent de leurs fèces, comme les bousiers. Leur herbivorie modifie aussi la structure de la végétation, dont la hauteur va par exemple influer sur la nidification d’oiseaux. Il faut cependant rester vigilant quant à leur contribution au potentiel invasif des plantes exotiques.
Le mot de l’expert
Christophe BALTZINGER, Chercheur en écologie à INRAE*
Comment conduisez-vous vos recherches ?
Pour identifier les plantes dispersées par les ongulés, nous travaillons avec des chasseurs en récoltant les graines avec une brosse sur le pelage des animaux tués. Nous déterminons les graines sous loupe binoculaire en les comparant avec des échantillons de référence. Nous effectuons aussi des prélèvements dans les fèces, les graines étant mises à germer pouvant être reconnues à leur plantule. Pour étudier les distances de dispersion, nous avons recours à des animaux familiarisés avec les humains (animaux d’écoles vétérinaires, utilisés pour des films…). En estimant la durée de rétention des graines selon la nature du pelage et les déplacements d’animaux équipés de colliers GPS, il est possible d’évaluer la dispersion.
Pour en savoir plus
Pour découvrir les principes du réensauvagement, reposant notamment sur le renforcement de populations d’ongulés et la réintroduction d’espèces localement disparues, visitez le site : https://rewildingeurope.com/callforawildereurope/fr/.
Mini glossaire
INRAE : Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.
Se bauger : se coucher dans la boue.