
Mondes invisibles et faussement silencieux, les écosystèmes aquatiques nagent eux aussi en plein dans les crises. La Saône ne fait pas exception.
Qu’est-ce que BiodiverSaône ?
Essentiellement porté par des jeunes scientifiques et soutenu par l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse, le projet vise à évaluer l’état de santé des poissons de la Saône, de la source à la confluence avec le Rhône, à travers divers axes de recherche : pollution acoustique, artificialisation, hausse des températures… Dans les mêmes proportions que l’air, l’eau connaît en effet un réchauffement. La température de la Saône augmente en moyenne de 0,7 degré par décade, ce qui est énorme et compromet la viabilité du milieu. Les poissons ont évolué de sorte que leur métabolisme fonctionne de manière optimale à des températures relativement basses. Lors des canicules, certaines hécatombes de poissons ne passent pas inaperçues, mais les poissons souffrent aussi en dehors de ces épisodes. Outre la dérive des températures moyennes, les à-coups thermiques sont particulièrement délétères, de même qu’un épisode de gel pour la végétation. Peu d’espèces aquatiques sont capables d’y résister.
Pourquoi le Gobie à tache noire sort-il du lot ?
Par des tests en laboratoire, nous cherchons à comprendre l’effet des stress thermiques sur les poissons en analysant leur métabolisme à différents niveaux : celui des cellules, celui des organes, celui des individus, et enfin, en étudiant les conséquences sur la chaîne alimentaire. Certaines mesures sont comparables à un test d’effort sur tapis de course. Globalement, les espèces exotiques envahissantes paraissent plus résistantes, et le cas du Gobie à tache noire est emblématique. Ce poisson a fait son entrée dans la Saône en amont de Cendrecourt en 2019, probablement via le canal des Vosges. Sa flexibilité mitochondriale* a l’air supérieure à celle des poissons natifs de la Saône. Son métabolisme plus efficace requiert moins de nourriture et il cumule d’autres avantages. Ainsi, alors que le bruit des bateaux perturbe les espèces natives en brouillant notamment leurs vocalisations, cela semble accroître sa motivation à manger.
Dans quel cadre collaborez-vous avec l’Université d’Ottawa ?
Le Canada a subi une invasion du Gobie à tache noire 20 ans avant nous. Ce printemps, nous menons une vaste campagne de capture avec l’appui de nos confrères canadiens et de nos collègues de l’OFB*. Nous suspectons que les populations de Gobie installées depuis plusieurs années ont des caractéristiques différentes des populations du front d’invasion. Une série d’expériences identiques à celles menées récemment au Canada permettra de comparer les deux histoires d’invasion et de prédire les dégâts possibles en Saône.

François-Xavier DECHAUME-MONCHARMONT, Professeur en écologie à l’Université Claude Bernard Lyon 1
Le public est malheureusement peu sensible à ce qui se passe sous l’eau. Seule la pollution est un thème vaguement familier. L’impression que la rivière se porte bien, parce qu’il y a de l’eau dedans et que son aspect est propre, est trompeuse. Il est troublant d’enfiler un masque de plongée pour voir la situation à l’amont de la Saône. Les poissons natifs subissent deux crises extrêmement inquiétantes. D’une part, ils supportent mal la hausse des températures et les chocs thermiques. D’autre part, ils sont fragilisés par l’arrivée d’espèces exotiques envahissantes moins vulnérables qu’eux. Si rien n’est fait, il est certain que le Gobie à tache noir va coloniser le Rhône et remonter jusqu’aux grands lacs alpins. Dans la Moselle, qui a été touchée dès 2011, il représente aujourd’hui 90 % de la biomasse en poissons. Sur la Saône, les pêcheurs commencent à se plaindre de ce poisson non consommable, qu’ils attrapent de plus en plus systématiquement.
Pour en savoir plus
Vous aimez ce format : un expert, trois questions ? Retrouvez une compilation de “Questions de Nature” dans le hors-série n°19. Commandez cet ouvrage sur www.bfcnature.fr, à contact@bfcnature.fr ou au : 03.86.76.07.36.