L’espèce : une notion relative

L’espèce: une notion relative

Si le concept d’espèce est couramment employé, il n’en demeure pas moins complexe à définir.

Qu’est-ce qu’une espèce?

À l’époque de Linné, au 18e siècle, le critère morphologique prévalait: étaient d’une même espèce deux individus d’apparence semblable. En réalité, des espèces «jumelles» peuvent être très différentes sur le plan génétique. Au contraire, des animaux morphologiquement très dissemblables peuvent appartenir à une même espèce. La définition classique actuellement admise a été proposée par Mayr en 1942: une espèce est un groupe de populations potentiellement ou effectivement interfécondes, c’est-à-dire capables de se reproduire entre elles. Cette définition a cependant de nombreuses limites. On ne peut pas toujours vérifier l’interfécondité. Par ailleurs, tous les groupes ne se reproduisent pas de façon sexuée. Les bactéries échangent ainsi des gènes alors que leur ADN est parfois différent à 40%. À l’inverse, l’Homme et le Chimpanzé, dont seuls 2% d’ADN diffèrent, sont des espèces distinctes non interfécondes.

Comment apparaît une nouvelle espèce?

Elle se crée par différenciation progressive du génome. Chaque humain reçoit par exemple une soixantaine de mutations génétiques de ses parents. Le plus souvent, l’impact est imperceptible. Parfois, cela entraîne une maladie génétique. D’autres fois, cela amène un avantage qui pourra être favorable à l’individu dans un environnement donné. À travers le mécanisme de sélection naturelle, les gènes favorables seront disséminés en plus grand nombre. Au fil des générations, l’accumulation des mutations va entraîner des changements dans les propriétés des individus, jusqu’à former une nouvelle espèce. L’éloignement géographique (par émergence d’une montagne, d’un nouveau bras de mer…) est un facteur important dans l’apparition de nouvelles espèces. La vitesse à laquelle les espèces se créent fait débat, mais il est sûr que l’extinction des espèces qui est en cours suit un rythme bien supérieur à leur apparition.

En quoi la création de nouvelles espèces interfère avec le concept d’espèce?

Une espèce est définie à un instant t, or chaque population est possiblement une nouvelle espèce en devenir. Cette problématique est bien visible chez les goélands. Dans notre région, Goéland argenté et Goéland brun sont considérés comme deux espèces distinctes. Or ailleurs sur le globe, on rencontre une succession de sous-espèces qui constitue ce que l’on nomme une ring species, une espèce en anneau: de proche en proche, les sous-espèces peuvent se reproduire entre elles, mais si l’on prend les deux extrêmes de l’anneau, elles ont accumulé tellement de différences qu’elles ne sont plus interfécondes. On pourrait donc dire que celles-ci sont des espèces distinctes, mais l’existence de sous-espèces intermédiaires les reliant génétiquement rend cette scission problématique.

Le mot de l’expert

Patrick GIRAUDOUX, Professeur d’écologie à l’Université de Franche-Comté

Faut-il renoncer au concept d’espèce?

De plus en plus, on emploie le terme «OTU*» pour mieux intégrer le caractère relatif et pratique de nos classifications. La notion d’espèce revêt certes un côté arbitraire, mais ce découpage constitue un outil important pour nommer et étudier la biodiversité. On peut parler d’espèce tout en ayant conscience des limites de ce concept. Un nombre colossal de plantes, considérées par les botanistes comme des «espèces» différentes, s’hybrident*, ce qui contredit la définition de Mayr! Qui plus est, une espèce ne peut jamais vraiment être appréhendée seule: nous sommes tous des colonies d’organismes symbiotiques*, y compris nous, avec par exemple notre microbiote intestinal*. Situer où commence l’autre est parfois difficile!

Pour en savoir plus…

À travers la revue Bourgogne-Franche-Comté Nature, découvrez grâce à deux numéros par an une mine d’informations sur la diversité et la rareté des espèces de la région! Retrouvez également un article de Patrick GIRAUDOUX sur les écosystèmes, le vivant et leur évolution sur le site de la Société Française d’Écologie et d’Évolution: https://www.sfecologie.org/regard/ro7-oct-2018-giraudoux-et-lebreton.

Mini-glossaire

Hybridation: croisement entre deux espèces.

Microbiote intestinal: ensemble des micro-organismes (bactéries, champignons…) qui vivent dans l’intestin.

OTU: Unité Taxonomique Opérationnelle.

Symbiotique: qui vit en symbiose, association bénéfique et essentielle à deux organismes.

Rechercher

Partagez :

Consulter d’autres articles : 

Nos dernières publications :