Questions de Nature
Le réseau mycélien, avant-garde de l’Internet
Dans le sol, plantes et champignons forment un formidable entrelacement de connexions permettant des interactions restées longtemps insoupçonnées.
Qu’est-ce que la mycorhize ?
C’est une association symbiotique, à bénéfices réciproques, entre les racines d’une plante et un ou plusieurs champignons. Elle apporte trois avantages majeurs pour la plante : une fertilisation par l’apport de nutriments du sol, une protection contre les stress biotiques (meilleure résistance contre les pathogènes*) et abiotiques (meilleure résistance aux stress environnementaux, comme le manque d’eau, par exemple). En contrepartie, le champignon reçoit des produits issus de la photosynthèse (sucres par exemple). Plusieurs types de mycorhizes existent, mais deux concernent la majorité des plantes terrestres. L’endomycorhize à arbuscules, apparue il y a environ 450 millions d’années, concerne plus de 80 % des plantes terrestres. On pense qu’elle aurait permis aux plantes de sortir de l’eau pour coloniser les surfaces émergées. L’ectomycorhize, quant à elle, ne remonte qu’à environ 150 millions d’années et se retrouve chez approximativement 5% des plantes, à savoir les arbres forestiers, feuillus et résineux.
Quelles sont les différences entre ces deux types de mycorhizes ?
Pour la mycorhize à arbuscules, il s’agit d’une endomycorhize (endo signifiant « à l’intérieur ») : le champignon pénètre dans certaines cellules racinaires afin d’y former des structures semblables à de petits arbres, lieu d’échange privilégié de nutriments avec la plante. Dans l’ectomycorhize (ecto, « à l’extérieur ») le champignon pénètre aussi dans la racine, mais reste à l’extérieur des cellules. Les champignons impliqués ne sont pas les mêmes. Les quelques 300 espèces de champignons mycorhiziens arbusculaires sont invisibles en surface. Ils lâchent leurs spores* directement dans le sol et n’ont pas besoin de produire de carpophores*. Les champignons ectomycorhiziens comptent 20 000 espèces et nous sont bien plus familiers, car ils comprennent les champignons que nous connaissons par leurs carpophores* : truffes, amanites, chanterelles… Ces espèces ont besoin d’une plante partenaire pour se reproduire.
Comment étudie-t-on la mycorhize ?
Par des prélèvements de sol et de racines, suivis d’analyses moléculaires, on est capable, comme en médecine légale, d’identifier un individu parmi les champignons. On peut ainsi déterminer les réseaux d’interactions entre plantes et champignons, dits réseaux mycéliens* communs. Sur une parcelle forestière de pins Douglas, des chercheurs canadiens ont pu mettre en évidence l’interconnexion de 67 arbres par l’intermédiaire de 8 champignons ectomycorhiziens. Par des essais en laboratoires et en milieu naturel, on a aussi démontré que grâce à ce réseau, les plantes échangent des nutriments entre elles, mais aussi des signaux de communication dont on ignore encore la nature. Deux plantes connectées peuvent notamment s’informer de la présence d’un pathogène* : on parle alors de priming.
Le mot de l’expert
Antoine SPORTES, Doctorant à l’INRAE*, Université Bourgogne-Franche-Comté, Laboratoire Agroécologie de Dijon
Ces découvertes peuvent-elles avoir des applications pour nos modes de culture ?
“Alors que nous avons récemment inventé Internet, les plantes/champignons l’ont fait il y a 450 millions d’années. Pour permettre son bon fonctionnement, le réseau mycélien* commun doit être protégé. L’usage intensif d’engrais et de pesticides de synthèse, ainsi que certaines pratiques agricoles comme le labour profond répété, ont un impact négatif. La thèse « Itinéraire Chercheur-Entrepreneur », financée par la région Bourgogne-Franche-Comté, que je développe a pour but de concevoir un kit moléculaire pour diagnostiquer la vitalité des mycorhizes au champ et au vignoble. Les agriculteurs/viticulteurs seront ainsi en mesure d’adapter efficacement leurs pratiques et de faire plus facilement les « bons choix » de culture.“
Pour en savoir plus
Retrouvez un article sur les mycorhizes dans le n° 20 de la revue Bourgogne-Nature. Pour connaître l’actualité de l’équipe mycorhize du Laboratoire d’Agroécologie de Dijon, rendez-vous sur Twitter @RadioMyco.
Mini-glossaire
Carpophore : partie aérienne qui porte et disperse les spores chez les champignons supérieurs.
INRAE : Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement.
Mycéliens : formé de mycélium : filaments souterrains de champignons.
Pathogène : agent responsable d’une maladie, comme les virus ou les bactéries.
Spore : cellule permettant la reproduction.