Questions de Nature
Conflits entre faune sauvage et humains, du Jura au Haut Mékong
Les conflits qui émergent entre animaux et humains incitent à appréhender d’une manière plus globale les socio-écosystèmes. Parmi les enjeux à la clé : réduire les risques de crises à répétition comme celle du covid-19.
Pourquoi le contact entre humains et faune sauvage génère-t-il des conflits ?
L’Humain est présent partout et en nombre sur l’ensemble de la planète. Automatiquement, le partage de l’espace se fait au détriment des autres espèces. Cela peut entraîner des modifications sur la faune sauvage parfois source de conflits. Ainsi, dans le Jura, à partir des années 1950, pour répondre à un besoin croissant en nourriture, la polyculture et l’élevage ont laissé place à des prairies permanentes très productives en foin pour l’élevage laitier. L’arrêt des labours répétés et la généralisation de ces milieux prairiaux ont entraîné une augmentation du nombre de campagnols, devenus problématiques car consommant l’herbe des prairies.
Dans le Haut Mékong, sur le plateau tibétain, un phénomène assez comparable s’est produit. L’augmentation des troupeaux de yaks a provoqué un surpâturage favorable à un petit lagomorphe, le pika, qui représente un réservoir de l’échinococcose alvéolaire*. De plus, l’expansion des surfaces agricoles au détriment de la forêt a fragmenté les populations d’une espèce de singe très rare et endémique*, le Rhinopithèque de Biet.
Que faire pour réduire ces conflits ?
Dans le Jura, la solution initiale a consisté à utiliser de la bromadiolone, un produit chimique, pour éliminer les campagnols. Cela a eu pour conséquence de porter atteinte à l’ensemble de l’écosystème, notamment aux prédateurs des campagnols. Il a donc fallu trouver des alternatives en prenant en compte la multifonctionnalité de l’écosystème et en adaptant les pratiques : réintroduction de labours, préservation des prédateurs… Il s’agit à chaque fois de réinventer notre relation avec la faune pour que les conflits s’atténuent, voire que les relations deviennent réciproquement fructueuses. En reconnectant les forêts du Haut Mékong et en diminuant le braconnage, le Rhinopithèque a vu ses populations croître de nouveau, ce qui génère des revenus touristiques.
En quoi les pandémies sont-elles un marqueur de l’emprise de l’Homme sur les écosystèmes ?
Dans un écosystème normal, de nombreuses espèces cohabitent, chacune étant représentée par un petit nombre d’individus. La biodiversité s’exprime à tous les niveaux, y compris chez les virus et bactéries, mais leur transmission reste modérée. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde où une espèce, l’Homme, a pris le dessus en termes de masse. Cela a pour effet un appauvrissement de la biodiversité (il y a moins de place pour les autres espèces), mais aussi une augmentation du risque de pandémies. Par notre nombre, nous et nos espèces domestiques sommes devenus de véritables incubateurs pour les virus et bactéries, connectés par nos transports. Dans ce contexte et si on ne le change pas, il est certain que nous serons atteints régulièrement et de plus en plus fréquemment par des épidémies comme celle du coronavirus.
Patrick GIRAUDOUX, Professeur émérite d’écologie à l’Université de Franche-Comté
Le mot de l’expert
Comment échapper à de futures crises ?
La capacité d’adaptation des bactéries est bien supérieure à la nôtre. 160 000 générations et 3,2 millions d’années nous séparent de l’Australopithèque Lucy, alors que 10 ans seulement sont nécessaires aux bactéries pour un nombre équivalent de générations, et elles sont des milliards de fois plus nombreuses. Elles ont toutes les capacités évolutives pour s’adapter plus rapidement que nous. Si nous ne repensons pas profondément l’organisation de nos sociétés dans un tel système, il est certain que nous irons de crise en crise. Cela doit passer par une réorganisation de la globalisation planétaire, une remise en question de notre démographie et une protection de la biodiversité partout. La notion de nature opposée à l’Humanité est contreproductive. L’Humanité fait partie du vivant et habite le vivant. Préserver les écosystèmes et les ressources naturelles est incontournable pour préserver notre santé et notre qualité de vie.
Pour en savoir plus
Découvrez un article de Patrick GIRAUDOUX paru dans le n° 30 de Bourgogne-Franche-Comté Nature intitulé « La nature est morte », qui invite à abandonner la notion de nature pour mieux faire face à la crise écologique. Rendez-vous également sur le site web du réseau international de recherche IRN EHEDE (International research network Ecosystem health and environmental disease ecology, Santé des écosystèmes et écologie des maladies environnementales).
Mini-glossaire
Échinococcose alvéolaire : maladie parasitaire.
Endémique : vivant exclusivement dans une région du monde.