Grâce à de nouvelles approches permises par l’informatique, la recherche met progressivement en lumière les pandémies passées, à l’instar de la deuxième pandémie de peste sur Dijon.
Dans quel contexte est survenue la deuxième pandémie de peste européenne ?
Elle s’est déroulée au Moyen Âge à travers une succession d’épidémies, échelonnées du milieu du 14e siècle jusqu’au 18e siècle. Cette pandémie, qualifiée comme telle du fait de son ampleur dans l’espace et le temps, a marqué durablement la mémoire collective. L’épidémie inaugurale, la peste Noire, a éliminé en cinq ans au moins un tiers, voire 60 % de la population européenne. Elle a touché aussi l’ensemble de la Méditerranée et une partie de l’Afrique.
Qu’est-ce qui explique la gravité de cette pandémie ?
Le bacille de la peste Noire ne semble pas avoir été particulièrement virulent. De façon surprenante, lorsqu’on a pu comparer son ADN à celui d’autres souches de Yersinia pestis responsables d’épidémies habituelles, les généticiens n’ont trouvé aucune caractéristique indicative d’agressivité particulière. La sévérité de la pandémie médiévale s’explique davantage par les mauvaises conditions sanitaires et le contexte socio-économique. La population était affaiblie par les conflits armés (la pandémie débute avec la guerre de Cent Ans), par des conditions climatiques difficiles et des famines, dues notamment à des épizooties* et à des pluies abondantes ayant détruit les récoltes.
Tous les Dijonnais ont-ils été également touchés par cette pandémie ?
Nous avons cherché à le déterminer en posant les questions : où meurt-on et qui meurt à Dijon, lors d’une épidémie qui a frappé l’Europe un demi-siècle après la peste Noire. La mortalité a été plus marquée dans le nord de l’actuel centre historique, où vivaient les plus riches. Cela s’explique par la densité de construction et par le grand nombre d’interactions sociales ayant lieu dans cette zone, la plus active économiquement. Une analogie peut être établie avec l’épidémie de Covid-19, qui a elle aussi davantage touché les secteurs où existait une plus grande promiscuité entre humains. La nature des activités semble aussi en cause pour la peste : marchés, bouchers et stocks de grains attiraient les rats, vecteurs de la maladie, la bactérie étant transmise par les puces des rongeurs. Le sud de l’actuel centre historique et les zones périphériques où vivaient les plus pauvres ont été moins atteints. Pour autant, les plus pauvres ne mourraient pas moins lorsqu’ils étaient contaminés. Nous avons également constaté que les nouveaux arrivants succombaient davantage à la peste que les Dijonnais de longue date. La population la plus fragile était représentée par les immigrants récents pauvres, venus des villages environnants. La pauvreté et un manque d’entourage pour leur venir en aide pourraient l’expliquer. À la fin de l’épidémie, ces nouveaux Dijonnais ont en revanche joué un rôle majeur dans la reprise démographique de la ville.
Le mot de l’expert
Pierre GALANAUD, Professeur émérite d’Immunologie à l’Université Paris-Saclay
Comment avez-vous conduit vos recherches sur Dijon ?
Les registres fiscaux ont été une source précieuse. Sur un siècle et demi, et presque sans interruption, ils recensent chaque année les chefs de famille dijonnais, la situation de leur domicile et la somme à payer, indicative de la richesse du foyer. Nos travaux s’appuient sur une base de données rassemblant ces éléments, constituée par l’historienne Anne GALANAUD et l’informaticien Henri LABESSE. Un programme original permet de recouper les informations, un même nom pouvant être orthographié différemment selon les années. À l’aide d’un logiciel cartographique, nous avons également pu, avec l’éco-épidémiologiste Patrick GIRAUDOUX, localiser ces données sur un plan de la ville, produisant ainsi des résultats inédits.
Pour en savoir plus
Dans le n° 31 de la revue Bourgogne-Franche-Comté Nature, apprenez-en plus sur les découvertes réalisées sur les épidémies de peste au Moyen Âge sur Dijon à travers cartographies et analyses.
Mini glossaire
Épizootie : épidémie animale.