Comprendre les évolutions des paysages et du climat d’autrefois permet de mieux appréhender les bouleversements en cours dans le Jura et dans le monde.
Quels grands changements le massif du Jura a-t-il traversés aux précédents millénaires ?
Vers – 24 000 ans a lieu le maximum de la dernière glaciation jurassienne, auquel succède un réchauffement climatique normal, dû aux facteurs orbitaux de la Terre. Il entraîne une modification des paysages. Les steppes froides sont remplacées par des forêts de pins et de bouleaux, les mammouths, les rennes et les ours des cavernes par des cerfs, des chevreuils et des sangliers. Entre – 7 000 et – 5 000 se développe l’optimum climatique de la période interglaciaire nommée Holocène : il s’agit du moment le plus chaud de cet interglaciaire, durant lequel le massif se couvre de chênes, de tilleuls et d’ormes. Ensuite, le climat se refroidit à nouveau progressivement du fait de la baisse de l’insolation estivale. Apparaissent alors les sapins, hêtres et épicéas typiques du Jura qui nous est familier. La période récente, depuis 1800, correspond à l’Anthropocène.
Qu’est-ce qui caractérise la période de l’Anthropocène ?
Elle est marquée par l’intense activité humaine qui a brutalement interrompu le processus de refroidissement. Aujourd’hui, alors que nous aurions dû nous trouver sur une trajectoire préglaciaire, nous sommes près d’atteindre les mêmes températures qu’à l’optimum climatique. Et les climatologues estiment que si rien n’est fait pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, elles seront largement dépassées. Climat et paysages se sont toujours transformés, mais lentement, et longtemps sans l’intervention de notre espèce. De chasseurs-cueilleurs, les humains sont peu à peu devenus agriculteurs. Les premières traces de cette évolution dans le Jura remontent au 6e millénaire avant J.-C. L’influence de l’Homme a été croissante, jusqu’à la situation actuelle.
Pourquoi dire que le réchauffement climatique fait de nous des « voyageurs immobiles » ?
En 2020, la température à Besançon était égale à celle de Lyon en 1930, comme si le massif s’était déplacé 200 km vers le sud. Si le réchauffement atteint + 4 °C à l’horizon 2100, cela équivaudra à un déplacement du Jura de 400 km vers le sud, ou à une perte de 400 m en altitude. Bâle aura un climat similaire à celui de Barcelone aujourd’hui, Genève à celui de la Bosnie-Herzégovine. La question de l’eau va devenir de plus en plus cruciale. La quantité de précipitations est moins en cause que leur répartition annuelle, avec des étés extrêmement secs mettant notamment en péril les rivières. De plus, en altitude, le Jura a perdu 20 jours de neige depuis 30 ans. Les canons à neige ne pourront pas résoudre l’absence de froid. Cela signe une fin de la rentabilité des infrastructures des stations de ski jurassiennes vers 2040, d’où l’importance d’une transition pour un tourisme vert « quatre saisons ».
Michel MAGNY (en haut) et Hervé RICHARD (en bas), Directeurs de recherche émérites CNRS en paléoclimatologie et paléoenvironnement, Université de Franche-Comté, Unité de recherche Chrono-Environnement
Nous avons remis en perspective le réchauffement climatique en nous concentrant sur le massif de moyenne montagne du Jura. Nous sommes remontés dans le passé jusqu’à 250 000 ans pour évoquer les deux dernières glaciations, pour revenir au présent. Près de 50 auteurs français et suisses de disciplines variées (climatologues, écologues, géologues, archéologues…) ont collaboré à un livre inédit destiné au grand public. Chacun peut s’approprier facilement le sujet par le prisme d’une région qu’il côtoie de près.
L’ouvrage invite à se saisir collectivement de questions qui se posent dans l’immédiat : comment maintenir des élevages pour produire des fromages malgré la pénurie future de fourrage ? Comment redéfinir terroirs, cépages et appellations pour assurer aux vins un avenir ? Faut-il laisser faire la nature ou introduire des essences méditerranéennes face au dépérissement des forêts ?
Pour en savoir plus
Procurez-vous l’ouvrage richement illustré Histoire du climat dans les montagnes du Jura, Écosystèmes et sociétés face à un avenir incertain, sous la direction de Michel MAGNY et Hervé RICHARD aux éditions de la Belle Étoile.
Mini-glossaire
Moraine : amas de débris rocheux transportés par les mouvements d’un glacier.