Tiges, feuilles, fleurs… Au-delà de ces attributs, la plante se définit aussi par une myriade de microbes, acariens et autres minuscules bêtes, tout aussi indispensables à sa survie.
Pourquoi les plantes n’existeraient pas sans animaux et microbes ?
Depuis des centaines de millions d’années, elles se développent en symbiose* avec ces organismes. Le terme de « microbe » regroupe les champignons (des organismes filamenteux), les bactéries (dix fois plus petites) et les virus (dix fois plus petits encore, si petits qu’ils ont besoin de la cellule d’un hôte pour se répliquer). Certains micro-organismes améliorent le fonctionnement des plantes. La construction évolutive a même engendré des dépendances : sans eux, les plantes ne savent plus réaliser certaines fonctions. À titre d’illustration, c’est la rencontre des racines avec les microbes colonisant le milieu qui active le système immunitaire des plantes en envoyant un signal lors de la germination.
Des acariens sur une feuille ne sont donc pas forcément synonymes de danger pour une plante ?
Au contraire, beaucoup de feuillus vivent en symbiose avec des acariens fongivores et carnivores. La présence de touffes de poils à la jonction entre les nervures des feuilles attire des acariens qui, en se nourrissant d’autres organismes et de champignons qui parasitent la feuille, protègent celle-ci (en évitant la perte de jusqu’à 10 % des produits de la photosynthèse). Grâce à eux, les capacités reproductives de la plante sont augmentées. Ces domaties* s’observent chez différentes familles de ligneux : Fagacées (comme les hêtres), Malvacées (tilleuls), Juglandacées (noyers)… Le fait que ces lignées d’espèces n’aient pas d’ancêtre commun en leur sein est significatif : c’est la preuve d’une efficacité éclatante, retenue maintes fois dans le processus d’évolution. Les nervures des feuilles des vignes sont elles aussi habitées par des acariens essentiels, les typhlodromes. En ayant connaissance de ces symbioses, on comprend combien des traitements à spectre large détruisent une biodiversité vitale aux plantes.
Comment le prendre en compte ?
En agriculture, il faut se débarrasser de l’idée qu’un peu trop de produit ne fait pas de mal. Gérer finement les doses, par exemple pour la bouillie bordelaise sur les vignes, est fondamental. Par ailleurs, il est nécessaire de trouver des produits plus spécifiques n’attaquant pas les auxiliaires, ce à quoi s’attellent les scientifiques. Nos approches ont longtemps reposé sur l’idée qu’un organisme est une entité à part. C’est une erreur. Nous devons considérer toutes les interactions qui composent l’existence d’un organisme, pour les préserver et s’en servir. Les effets indésirables du labour et des pesticides ont été démontrés. Basculer sur des pratiques agroécologiques sans labour, avec couverture végétale permanente des sols et engrais organiques, préserve le cortège de partenaires et rend les plantes plus résistantes.
Marc-André SELOSSE, Botaniste et mycologue, professeur du Muséum national d’Histoire naturelle
Le mot de l’expert
Le savoir a d’abord progressé grâce à des travaux comparant en laboratoire des plantes avec et sans microbes, et réintroduisant un microbe précis pour en mesurer les conséquences. Aujourd’hui, les recherches se multiplient et rejoignent le terrain. C’est ainsi que mon laboratoire conduit des études sur le microbiote* du blé cultivé en biodynamie. Nous étudions aussi les microbes embarqués dans les spécimens des herbiers du Muséum national d’histoire naturelle pour comparer les périodes avant et après l’arrivée des herbicides. Dans les années 1990, seules deux universités françaises conduisaient des recherches sur les symbioses mycorhiziennes*, Dijon et Nancy. Désormais, toutes les universités travaillent sur le sujet et les congrès réunissent un nombre croissant de spécialistes.
Mini-glossaire
Domatie : structure végétale adaptée dans l’accueil d’hôtes.
Microbiote : ensemble des micro-organismes d’un environnement défini.
Symbiose : alliance mutuellement bénéfique entre deux organismes.
Symbiose mycorhizienne : forme de symbiose entre une plante et un champignon.
Pour en savoir plus
Marc-André SELOSSE vous propose un article sur les symbioses de la plante dans le n° 35 de la revue BFC NATURE. Découvrez aussi son ouvrage Jamais seul, ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, paru chez Actes Sud.