Effondrement de la biodiversité et bouleversements climatiques poussent plus que jamais à être au chevet des écosystèmes, eux aussi détenteurs d’une santé à soigner.
Pourquoi se préoccuper de la santé des écosystèmes ?
Le bon fonctionnement d’un écosystème dépend directement de sa bonne santé. Or beaucoup d’écosystèmes sont aujourd’hui altérés par les activités humaines. Du point de vue du diagnostic, il s’agit de mesurer l’écart entre le fonctionnement constaté d’un écosystème et son potentiel de bon fonctionnement, pour identifier s’il y a lieu d’agir afin que l’écosystème puisse se restaurer. Généralement, pour faire comprendre l’importance du sujet, on met en avant les « services écosystémiques » qui font référence aux biens et services fournis par les écosystèmes en bonne santé (cycle de l’eau, approvisionnement en bois, pollinisation…). Ces services sont certes vitaux, mais la notion découle d’une vision anthropocentrée, comme si tout était organisé pour être utile à notre espèce. Les écosystèmes ont également besoin d’une bonne santé pour s’adapter, c’est-à-dire être robustes face aux changements.
Pourquoi est-il complexe de choisir un état de référence normatif ?
Pour estimer la qualité potentielle d’un écosystème, correspondant à sa bonne santé, on doit se référer à un moment où la biodiversité, les processus et les services de l’écosystème peuvent être jugés optimaux. Mais quel instant sélectionner ? Pour nos forêts tempérées, devrions-nous par exemple nous reporter à l’ère où aurochs, bisons et élans n’avaient pas encore disparu, il y a 2 000 ans ? Un individu aura tendance à se référer à l’époque qu’il a connu dans sa jeunesse, ce qui induit une amnésie environnementale : d’une génération à l’autre, on oublie la dégradation progressive, la nouvelle référence effaçant systématiquement la réalité de la génération précédente. Aucune réponse n’est évidente.
Quelle échelle de temps retenir pour apprécier la santé des écosystèmes ?
Il est nécessaire d’en associer plusieurs. Celle du temps court, quelques dizaines d’années, mais aussi celle du moyen terme, quelques centaines d’années, pour assimiler le phénomène de succession écologique : tout écosystème est naturellement voué à transiter d’une phase à une autre sans qu’il ne s’agisse pour autant d’un problème de santé. À moyen terme, la pelouse deviendra ainsi un espace buissonnant, une forêt, et ultimement une forêt climacique*. En outre, pour intégrer le temps long dans lequel s’inscrit l’évolution darwinienne, il faut avoir conscience que toutes les espèces n’évoluent pas à la même vitesse. Du fait de sa rapidité de croissance, le potentiel évolutif d’une bactérie est ainsi des milliers de fois supérieur à celui des humains.
Patrick GIRAUDOUX, Professeur émérite d’écologie à l’Université de Bourgogne Franche-Comté
Unité de recherche
Chrono-Environnement
Le mot de l’expert
La résistance et la résilience d’un écosystème, qui définissent sa robustesse, sont largement dépendantes de sa biodiversité. Reste à savoir quel niveau de biodiversité évaluer pour diagnostiquer un écosystème. Notre classification du vivant repose sur différents niveaux, l’espèce étant l’unité de base, suivie des rangs supérieurs que sont le genre, la famille, l’ordre… Si l’on analyse le nombre de familles d’un écosystème, mais pas son nombre d’espèces, on peut passer à côté d’une perte de diversité. De même, tenir compte de la diversité en termes d’espèces est insuffisant, car d’autres formes de diversité organisent le vivant : diversité génétique, diversité populationnelle, diversité des processus… Étudier la santé des écosystèmes implique de considérer ensemble ces sous-ensembles qui forment un tout.
Mini-glossaire
Climacique : se dit de l’état final d’une succession écologique, théoriquement stable dans le temps.
Pour en savoir plus
Un article complet de Patrick Giraudoux sur la définition de la santé des écosystèmes est à découvrir dans le bulletin de l’Académie Vétérinaire de France, tome 175 (2022) disponible sur : http://www.academie-veterinaire-defrance.org.