Le cas du cassis illustre l’urgence d’agir en faveur des pollinisateurs et combien les agriculteurs peuvent être moteurs pour la biodiversité.
Quelle est la situation pour les pollinisateurs du cassis ?
Au cœur des deux crises que nous vivons, climatique et de la biodiversité, nous assistons à une disparition spectaculaire des pollinisateurs sauvages. Le service écosystémique de pollinisation dont bénéficient entre autres nos cultures chute avec eux. La Bourgogne-Franche-Comté n’échappe pas à ce constat alarmant. Dans les champs de cassis, les agriculteurs ont perçu une baisse des pollinisateurs, mais celle-ci a été progressive et il a fallu attendre trois décennies avant qu’elle soit objectivée. Nos recherches ont récemment démontré qu’entre les années 1980 et 2018, l’abondance des pollinisateurs dans les parcelles de cassis de la région a diminué de presque 99 %. Parallèlement, les années où le rendement est seulement égal voire inférieur au seuil de rentabilité deviennent la norme.
Quelles solutions vos recherches mettent-elles en évidence ?
Avec le projet Pérennité et développement de la filière cassis en Bourgogne*, nous avons conduit des tests d’hyper-abondance de pollinisateurs en introduisant une grande quantité de bourdons sous des filets. Cela a triplé le rendement en cassis. Cependant, sans voile, les bourdons sont peu fidèles au cassis. Osmia bicornis est une abeille sauvage solitaire que l’on peut élever à la ferme avec des hôtels à osmies sans que cela ne soit trop onéreux. Des cocons de cette espèce ont donc été placés dans les parcelles, avec expérimentalement une augmentation de 40 % du rendement. Cet essai concluant a été effectué sur du Noir de Bourgogne*, mais les augmentations de rendement vont dans le même sens quelle que soit la variété. En complément de l’élevage, il apparaît utile d’améliorer l’accueil des abeilles sauvages.
Comment leur faire bon accueil ?
Il leur faut d’autres ressources alimentaires, car la floraison du cassissier est brève. Une bonne diversité végétale est nécessaire pour répondre à leurs besoins nutritifs, mais aussi favoriser leur reproduction et leur système immunitaire. Des semis de fleurs sauvages locales en inter-rang livrent des résultats probants pour les abeilles sauvages dont les effectifs ont augmenté dès la première année. L’ajout de haies est également intéressant et offre en prime des sites de nidification, un autre paramètre auquel il faut veiller, avec l’installation d’hôtels à insectes. Ces aménagements agroécologiques sont susceptibles d’augmenter les populations d’auxiliaires prédateurs ou parasites des ravageurs de cultures. L’usage de désherbant chimique étant délétère, d’autres recherches sont en cours pour trouver des méthodes moins chronophages que le désherbage manuel. Nous envisageons aussi d’autres recherches pour trouver des alternatives aux insecticides encore utilisés malgré les progrès déjà réalisés par les agriculteurs.
Marie-Charlotte ANSTETT Chargée de recherches au CNRS, écologue spécialisée en pollinisation et interactions entre espèces
Le mot de l’experte
Redonner une place à la biodiversité permet de s’inscrire dans un système gagnant-gagnant. Davantage d’abeilles sauvages dans les champs, c’est une récolte de cassis plus homogène avec un rendement supérieur à l’hectare. Beaucoup d’agriculteurs s’investissent à fond dans le projet en s’appropriant le protocole. Ils multiplient les bandes fleuries et achètent des hôtels à insectes. Nous sommes dans de la recherche/action avec un partage continu de savoir dans les deux sens entre chercheurs et agriculteurs. Les consommateurs aussi ont un rôle à jouer en soutenant ceux qui prennent le risque d’entreprendre la transition vers une agriculture durable, qui représente un coût. Ce cas d’école du cassis est susceptible de servir de modèle pour d’autres cultures, chez nous et dans d’autres pays.
Pour en savoir plus
Un article détaillé sur le projet cassis et son approche pluridisciplinaire pour des mesures agroécologiques est à découvrir dans le n° 35 de la revue BFC NATURE.
Mini-glossaire
Noir de Bourgogne : variété de cassis employée pour les IGP crèmes de cassis de Dijon et de Bourgogne.
Pérennité et développement de la filière cassis en Bourgogne : projet financé par le Fonds européen agricole pour le développement rural et la Région Bourgogne-Franche-Comté.